Nous y sommes.

C’est une petite ville de province emmurée de remparts et divisée en pittoresques quartiers. J’y ai déjà vécu un an, et je me retrouve juste avant la rentrée universitaire avec un appartement trop grand sur les bras. Je cherche une colocataire. Dans ma promo toute neuve, débarquent des étudiants loin de leurs bases. Celle-ci est encore plus loin de ses bases que les autres. Je propose, je montre l’appartement, elle accepte. « On » est à peine plus âgée que moi, habillée new wave (chic, un créneau que je ne connais pas !) et nous n’avons pas du tout les mêmes références culturelles. Elle emménage, aidée par une sorte de frigo petit ami taciturne et noiraud. Elle me file ses bouquins, je lui passe les miens, elle refuse d’écouter ma musique (elle a eu raison, c’était vraiment de la daube), je prête une oreille à la sienne. Je découvre Cocteau Twins, Tears for fears, Sisters of Mercy, Dead can dance… J’adopte les colis alimentaires de ses parents, composés d’épices et d’une bouteille de rhum de Martinique, nous partageons café froid et cendriers pleins. Je m’ouvre à d’autres mots, à d’autres notes, à d’autres idées, je goûte la présence d’un esprit aigu, acéré, ses élans et ses passions, sa capacité à aimer, à s’attacher. Elle me refile une jupe, elle a l’élégance naturelle de ceux qui ont du goût, comme ça, parce qu’ils ont de la beauté dans les yeux.
Nous allons à la fac, nous y avons beaucoup d'heures de cours. Nous avons réussi à ne jamais nous engueuler, même pendant ce lourd projet vidéo interactif. Nous ingurgitons de la sociologie à haute doses, et de la sémio. Ah les méandres de la sémiologie de la musique !
C’est une petite ville de province emmurée de remparts et divisée en pittoresques quartiers. Nous y avons construit une solide amitié. Aujourd’hui, vingt ans et quelques milliers de kilomètres plus tard, ce blog à quatre mains, parce que ses réflexions font toujours mouche, parce que les perles se récoltent à la pelle dans les mots que nous échangeons, parce qu'elle me lit et qu'elle commente avec une lumineuse intelligence les petits bouts de quotidien, synecdoques de nos vies.

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