Avertissement : cette histoire est issue d'un travail collaboratif avec des élèves de seconde. Ils ont apporté une partie du récit, je l'ai mis en forme.
Freddy Bogoz, dit Beaugosse, avait bien mérité son surnom.
Une bouille d’amour que ne parvenait pas à enlaidir un bouc pointu, un joli
corps développé où il fallait, comme en témoignait le tee-shirt relevé sur un
ventre plat et ferme et tendu sur des épaules larges, des jambes musclées
moulées dans un jean slim… Le tout largement gâché par la flaque de sang en cours de coagulation qui s’étendait sous la tête du jeune homme. Une boule
de bowling noire reposait près du crâne défoncé du jeune homme. Au moins, on
n’aurait pas à chercher l’arme du crime. Les deux flics contemplaient à
distance le cadavre, tandis que les techniciens tout de blanc vêtus
commençaient leur ballet. L’un d’eux tenait le portefeuille de Freddy, et son
téléphone. Il allait falloir descendre interroger les témoins, parqués au
rez-de-chaussée. Le meurtre avait eu lieu dans une boite à la mode, et le
nombre de fêtards à questionner annonçait une nuit très longue.
Le flic qui tenait le portefeuille se tourna vers son
partenaire. Il avait un gracieux physique de jeune premier, moins tapageur que
la victime, un visage harmonieux et ouvert, de grands yeux clairs. L’autre, si
large d‘épaule qu’on craignait pour son pardessus quelque déchirure médiane,
arborait une moue renfrognée sur une trogne si poilue que sa barbe rejoignait
presque ses épais sourcils. Il haussa ses gigantesques épaules et prit la
direction de l’escalier. La routine devait commencer pour se terminer un jour.
Nom, prénom, date de naissance, adresse, profession…
En bas, les autres flics avaient commencé à faire le tri.
D’un côté, ceux qui n’avaient rien vu, rien entendu et ne connaissaient pas la
victime. On prenait leurs coordonnées avant de les laisser partir. De l’autre,
ceux qui feraient l’objet d’une plus grande attention. Au milieu de ceux-là,
deux filles graciles et peu vêtues sanglotaient enlacées. Leur maquillage
surchargé laissait des trainées noirâtres et pailletées sur leurs joues. Le
policier au physique de jeune premier tendit le téléphone à son partenaire. Sur
l’écran, Freddy Beaugosse posait avec les deux filles. On allait commencer par
elles.
L’interrogatoire se révéla ardu. Séparées, les deux
donzelles redoublèrent de sanglots. On eut recours à des tonnes de kleenex, des
verres d’eau, des paroles apaisantes. Oui, elles connaissaient bien la victime.
Ils avaient participé ensemble à une émission de télé-réalité qui mêlait des
stars de la télé-réalité. Ils avaient sympathisé au cours de ce programme qui,
pour une fois, ne tentait pas de dresser les participants les uns contre les
autres pour les éliminer, mais promouvait l’entraide et la bienveillance.
Freddy était un chic type, il n’avait pas les mains baladeuses, ne draguait pas
lourdement toutes les filles. Il passait un temps fou dans la salle de sport, à
sculpter un par un ses muscles harmonieux. C’était un gars gentil et honnête.
Non, elles n’avaient pas eu d’aventure avec lui. L’une et l’autre étaient en
couple, et très sérieuses à ce sujet. Elles ne savaient pas s’il sortait avec
quelqu’un, il évitait plutôt d’en parler. On l’avait bien vu au bras de belles
filles, mais c’était toujours en service commandé, un arrangement pour les
soirées de promotion. D’ailleurs, il se comportait comme un cavalier
attentionné, mais rien de plus. Et tous cas, rien qui puisse susciter une
jalousie meurtrière. C’était horrible, horrible, ce qui lui était arrivé. Et
aussi inattendu qu’inexplicable. Freddy n’avait pas que des amis, on ne fait
pas carrière sous les projecteurs sans provoquer l’envie, mais il n’avait aucun
ennemi. Après quatre heures d’interrogatoire, et beaucoup de sanglots
inextinguibles étanchés dans six paquets de mouchoirs, les deux flics
libérèrent leurs témoins.
Une jeune fille blonde vêtu d’une robe courte pailletée,
adaptée à une soirée de folie sur les pistes de danse si on portait de jolis
dessous, se détacha du groupe. Elle s’assit au bar avec une bouteille de whisky
irlandais.
-
Mademoiselle, je suis désolé de vous priver mais
vous allez devoir rester sobre pour qu’on puisse recueillir votre témoignage, dit
le jeune premier un sourire en coin.
-
Pas de chance, je programmais un séjour en
Irlande pour m’échapper à cette soirée désastreuse mais bon allons-y !
-
Très bien, commençons. Nom, prénom, âge,
résidence, profession.
-
Erika Kovacs. J’ai 23 ans et j’habite à Bondy.
Je suis étudiante, ou presque.
-
Vous connaissiez Freddy Bogoz ?
-
Oui, c’est lui qui m’a invitée à cette soirée.
-
Vous le connaissiez depuis longtemps ?
-
Nous nous sommes rencontrés sur le tournage de
sa dernière pub pour des fringues. Je faisais un stage. Enfin, c’est comme ça
qu’on appelle le fait de se faire exploiter en nous faisant miroiter un boulot.
Nous avons sympathisé, échangé nos numéros et il m’a invitée à cette soirée. Du
moment que je venais avec une tenue spectaculaire.
Elle désigna sa robe qui scintillait et laissait peu de
place à l’imagination, mais beaucoup à ses jambes.
-
J’ai emprunté ça à une copine costumière et me
voilà !
-
Vous êtes arrivée avec lui ?
-
Non, nous nous sommes retrouvés ici. Pour tout
dire, il m’a fait rentrer dans la boite et c’est tout. Il m’a lâchée au bar
pour voir des gens et je ne l’ai pas revu de la soirée.
-
Merci, restez joignable.
La jeune femme se détourna vers la bouteille de whisky et
entreprit de se servir une dose de cow-boy. Les deux flics glissèrent un mot à
un planton pour s’assurer qu’on la mette dans un taxi après son excursion
irlandaise et s’isolèrent.
-
On n’a pas grand-chose pour le moment.
-
Non, le beau gosse de la télé se fait estourbir
à la boule de bowling, mais c’était presque un saint et on ne voit pas comment
il a pu déclencher une telle violence.
-
Beau gosse et parangon de vertu.
-
Les chics types ne se font pas défoncer le
crane.
-
Ça arrive.
-
Mais pas comme ça.
L’enquête commença. La maison des Bogoz fut assiégée par la
presse pendant trois jours, le temps qu’un nouveau scandale, plus léger,
appelle ailleurs les journalistes.
-
Journalistes, mon cul !
-
Fabian, ne parle pas comme ça devant ces
messieurs de la police.
Les deux flics étaient chez les parents de la victime. La
mère, une petite femme recroquevillée dans son fauteuil, considérait les
policiers avec un mélange de crainte et d’espoir. Le père, planté devant la
fenêtre, vérifiait la disparition des vautours. Il irradiait la colère comme un
réacteur au point de fission. Il se tourna vers ses visiteurs.
-
Je ne comprends pas. Freddy était un garçon
gentil. Personne ne lui en voulait. Il ne fréquentait pas de voyous.
-
La façon dont il est mort ne suggère pas
vraiment un règlement de comptes.
La mère poussa un soupir étouffé et se mit à pleurer en
silence.
-
Pardonnez-moi, madame, mais si nous voulons
trouver qui a fait ça à votre fils, nous allons être obligés de vous poser des
questions. Ce sera sûrement douloureux pour vous, mais nous avons besoin de
tout savoir sur votre fils. Avait-il une petite amie ?
Le père se retourna et posa une main sur l’épaule de sa
femme, puis il s’assit sur le canapé.
-
Pas que nous sachions. Il ne nous a présenté
personne.
-
Où vivait-il ? Tous ses papiers sont à
votre adresse.
-
Ici, il vivait ici, la plupart du temps. Il
parlait de prendre un appartement, il avait les moyens.
-
Parlons de ses finances. Il avait gagné beaucoup
d’argent avec la télé ?
-
Avec les émissions, il ne gagnait pas tant que
ça. Enfin, la première ne lui avait rapporté que de l’argent de poche. Il avait
des contrats avec des marques, de la pub, des photos, qui rapportaient pas mal.
La deuxième émission, ce n’était pas le pactole, mais enfin, c’était pas mal
d’argent. Bien plus que ce que j’ai jamais gagné. Mais il ne dépensait pas à
tort et à travers. Il avait mis des sous de côté. D’où l’appartement. Il
voulait acheter, pour être chez lui quand tout ça s’arrêterait.
-
Tout ça ?
-
Oui, tout ça, ce cirque. J’adorais mon fils,
mais je sais aussi que Freddy n’avait pas d’autre talent que de bien passer à
la caméra, comme ils disaient. Il le savait aussi. Il n’a jamais rien fait
d’autre que de se présenter à un casting, un seul ! avant de passer à la
télé.
-
Avait-il des amis ?
-
Bien sûr, c’était un bon garçon, il avait des
tas d’amis.
-
Et parmi eux, personne ne l’enviait ?
-
Envier Freddy ? Non, bien sûr que
non ! Ils étaient fiers de lui !
-
On peut les trouver où, ses amis ?
-
Le plus simple, c’est de les retrouver au bar où
ils vont tout le temps. Je suis sûrs qu’ils y seront, tout à l’heure, pour
parler de Freddy, en souvenir du bon vieux temps.
-
Merci.
Le bar des Amis portait bien son nom aussi, car tous les
amis de Freddy Beaugosse s’y trouvaient. Un groupe d’une dizaine de jeunes
hommes s’épanchait au-dessus de boissons diverses, mêlant quelques larmes
furtives au pastis, au kir et à la blonde pression. L’arrivée de deux flics fit
sensation. Le policier renfrogné s’assit en marge de la meute éplorée, tandis
que son partenaire s’intégrait.
-
Il était comment, Freddy ?
Des meuglements laudatifs
s’élevèrent. Le flic leva la main et désigna un porte-parole.
-
Freddy, c’était un type en or. Il rendait
toujours service. Il a même sauvé un chat de la noyade !
-
N’exagérons rien, il a sorti un chaton du
ruisseau et la bestiole est morte quand même.
-
Ouais, mais il a essayé. Et puis personne ne
sait faire du bouche-à-bouche à un chaton. Le cœur sur la main, Freddy.
-
Sauf quand il avait autre chose à faire.
-
Pourquoi tu dis ça ?
-
Parce que c’est vrai.
-
Il t’a réparé ta caisse !
-
Pour me l’emprunter.
-
Il a aidé le père de Sylvain à tondre sa pelouse
pendant des années !
-
Le père de Sylvain lui filait la pièce, il
n’avait pas d’argent de poche.
Les deux flics, intéressés, écoutaient se fissurer le mythe
du chic type.
-
Tu abuses, ça reste un mec bien. Il est mort, on
doit le respecter et soutenir sa famille.
-
Il t’a jamais fait de coup tordu toi ?
-
Si, mais ce n’est plus important maintenant.
Le policier au physique agréable fit un geste de la main.
Les controverses sur Freddy cessèrent.
-
Je suis Antoine Duchamp _ comme un champ _ et
voici mon collègue, Tony Delcampo.
Quelques ricanements saluèrent l’association d’Antoine et
Tony.
-
Nous souhaitons vous poser quelques questions
sur Freddy, mais pour ne pas déranger les autres clients, nous allons vous voir
un par un, dans la salle du restaurant que l’aimable patron de ce bar met à
notre disposition.
-
Bien sûr, ce vieux margoulin de gérant est
toujours prêt à collaborer avec les flics.
-
Et puis comme ça, on ne s’influencera pas les
uns les autres, pas vrai ?
-
Tout juste. Et ça vous évitera un détour par le
commissariat.
-
C’était quand même un sacré opportuniste…
Le flic à la moue renfrognée
sembla se réveiller et guida le jeune homme qui venait d’intervenir vers la
salle de restaurant vide.
-
Je vous écoute. Commençons par vous.
-
Je suis Guillaume Letrompé, un ami d’enfance de
Freddy. Je suis agent immobilier, j’habite avec ma femme et mon fils dans une
petite maison pas loin d’ici.
-
Vous êtes bien jeune pour avoir une famille.
Vous avez quel âge ?
-
25 ans. Ma femme et moi, nous nous connaissons
depuis le collège. Nous nous sommes mariés il y a presque deux ans maintenant
et nous avons un petit garçon.
-
Pourquoi dites-vous que Freddy était
opportuniste ?
-
Ici, c’est pas toujours facile, vous savez. Moi,
j’ai fait des études, pas beaucoup, mais enfin, je voulais que ma femme et moi
nous puissions nous installer. Sullivan, il commence à réussir dans le rugby,
Charles, il travaille dur avec son père au bowling, Sylvain, il fait des
études, mais il bosse à côté pour se les payer… Le père de Freddy, il a trimé
comme un âne pendant des années avant de passer contremaitre. Bref, tout le
monde ici se démène, mais Freddy, lui, tout lui tombait dessus comme par
miracle. Des miracles qu’il provoquait, parfois. La caisse de Kevin, elle est
pas tombée en panne toute seule. Et il avait pas un rond pour la réparer. Mais
Freddy s’amène avec les outils de son père et elle roule ! Kevin était
tellement content qu’il l’a prêtée à Freddy. Ça tombait bien, il avait besoin
d’une voiture.
-
Pourquoi ne pas emprunter celle de son
père ?
-
Parce que Kevin, lui, n’a jamais demandé à
Freddy où il allait. Le père Bogoz, il aurait au moins regardé combien de
kilomètres il avait fait. Pas Kevin. Mais réparer une voiture avec des outils
de maçon, j’ai jamais vu.
-
Merci, nous vous recontacterons si nécessaire.
-
J’espère quand même que vous allez trouver qui a
fait ça. Freddy, je me faisais pas d’illusions sur lui, mais je le connaissais
depuis toujours. Il méritait pas ça.
-
Personne ne mérite de se faire défoncer le
crâne.
Le policier regagna le bar avec Guillaume et fit un signe à son
partenaire. Antoine Duchamp se leva et invita un autre ami de Beaugosse à le
suivre à son tour dans la salle de restaurant.
-
Comment vous appelez-vous ?
-
Charles Decourtenaille.
-
Comment connaissiez-vous Freddy ?
-
Je tiens un complexe sportif, Freddy venait
souvent pour s’entrainer, la gonflette surtout, vous savez, son physique
avantageux, c’est du boulot. Et tant qu’on y est, autant le dire tout de suite,
nous avons un bowling aussi. C’est même ce qui nous rapporte le plus.
-
Freddy allait au bowling ?
-
Il a essayé, les autres venaient souvent passer
la soirée, mais, honnêtement, Freddy et les quilles n’étaient pas amis. Il
jouait comme une brêle, alors la plupart du temps, il regardait les autres.
-
Que pensez-vous de lui ?
-
J’en pense que Freddy était un bon gars avec son
caractère à lui. Il profitait de la vie au jour le jour, il n’était pas
parfait.
-
Que voulez-vous dire par là ?
-
Oh rien de bien méchant mais il avait ses
manières. Il ne supportait pas qu’on se moque de lui, c’est pour ça qu’il ne
jouait jamais au bowling. Tout paraissait facile pour Freddy, parce qu’il ne
tentait jamais rien sans être sûr de réussir. La compétition ne l’intéressait
que pour être le premier. Vous devriez en parler avec Sullivan.
-
Je le ferai. Ou étiez-vous ces derniers
jours ?
-
J’étais à Paris en vacances chez mes
grands-parents du côté de mon père. J’étais au Bataclan, le soir de l’attentat.
Je suis fan de métal, j’avais acheté mon billet six mois avant.
-
Vous vous en êtes bien sorti.
-
Pas de bobo, mais une peur bleue. Nous sommes
sortis par le toit. J’en fais encore des cauchemars.
-
Je m’en doute.
Le témoin suivant était le plus jeune de la bande.
-
Parle-nous de toi !
-
Je m’appelle Sylvain Durif et j’ai 19 ans.
-
Où habites-tu ?
-
A Sevran.
-
Tu fais quoi dans la vie ?
-
J’ai eu mon bac ES l’année dernière et je fais
des études de marketing.
-
Quelles était tes relations avec la
victime ?
-
Nous étions proches, c’était un copain de mon
grand frère. Je l’appréciais vraiment beaucoup.
Le garçon avait la larme à l’œil.
-
Et ton grand frère, il n’est pas avec les autres
amis de Freddy ?
-
Non, il est mort l’année dernière dans un
accident.
-
Désolé, je ne savais pas.
-
Vous ne pouviez pas savoir. Freddy et lui
étaient très copains. Il m’a beaucoup encouragé après, Freddy. Il ne pouvait
pas remplacer Yann, mais il est resté présent. Pour mes parents, c’est dur de
le voir, enfin, c’était. Ça leur rappelait trop mon frère, alors on essayait de
se voir ici.
-
Je comprends, merci.
Le suivant était un grand maigre, à l’air affamé. Il
triturait son verre vide comme s’il pouvait faire réapparaitre son contenu. Le
poil noir, ombrageux, il s’était tenu à l’écart des conversations.
-
Nom prénom, âge, domicile, profession.
-
Lukas Bogoz, 24 ans, dans la cave, esclave.
Le policier fronça les sourcils. Si c’était une blague, elle
était de mauvais goût.
-
Désolé, j’ai un passé compliqué.
-
A votre âge ?
-
Il n’y a pas d’âge pour se faire exploiter.
C’est plus facile avec les enfants, d’ailleurs.
-
Votre nom…
-
C’est le même que Freddy, mais c’est un hasard.
Mes parents sont venus en France clandestinement et ils se sont tués à la tâche
pour payer leurs passeurs. Et j’ai vraiment vécu dans une cave pendant des
années avec toute ma famille. Mes sœurs et moi, nous travaillions après l’école
pour aider nos parents. Finalement, on a tous eu des papiers et un logement à
l’étage. J’habite Bondy nord, maintenant, même si nous faisons partie des rares
résidents qui apprécient d’avoir simplement des fenêtres. Je n’ai pas de
profession, je travaille en intérim, je prends ce qui vient, je fais un peu
tous les métiers. Evidemment, ce sont rarement des boulots faciles, mais tant
que ça aide à payer le loyer… Mon père ne peut plus travailler, ma mère fait
des ménages, j’essaie juste d’assurer pour que mes sœurs aillent à la fac. Si
elles peuvent s’en sortir mieux que moi…
-
Et votre nom ?
-
Un hasard. En revenant avec les papiers de la
préfecture, mon père a entendu un type brailler « Bogoz ». C’était le
père de Freddy qu’un de ses collègues appelait sur un chantier. Il a inscrit le
nom à la place du notre. Il ne voulait plus rien qui lui rappelle d’où il
venait. Mon père ne savait pas que ce n’était pas un nom français. Mais ça me
va. Freddy était persuadé que nous étions cousins. Je ne l’ai jamais détrompé.
Je me suis juste arrangé pour ne jamais croiser ses parents. Je ne parle pas un
mot de hongrois.
-
Mais vous êtes d’où ?
-
De Bondy nord, c’est là que commence mon
histoire.
Ensuite, Tony entendit Jimmy Mugiwara, technicien logistique
et boxeur amateur qui s’entrainait assidûment dans les salles des
Decourtenaille.
-
Vous connaissiez bien Freddy ?
-
Moins que les autres. C’était un frimeur. Il
venait soulever des poids pour entretenir son bifteck.
-
Vous vous entrainiez avec lui ?
-
Jamais. Je vais chez Charles parce qu’il me fait
un prix d’ami. Je prépare mes matches avec un entraineur, mais j’ai besoin des
appareils, parfois. Freddy ne faisait pas de sport. C’était du chiqué, ses
muscles.
Le policier fit la moue.
-
Et sinon ?
-
Sinon, on faisait partie de la même bande,
Freddy et moi. On avait des amis communs, c’est tout. Mais ce n’était pas un de
mes potes. Je le trouvais pas très réglo, de toute façon.
-
Vous connaissiez ses parents ?
-
De loin. Le père de Freddy voulait savoir qui
fréquentait son fils. Il ne le couvait pas vraiment, mais il surveillait. Je ne
leur ai parlé que deux fois, je crois. Enfin, à son père. Sa mère ne sort pas
beaucoup.
Les policiers entendirent les autres amis de Freddy à tour
de rôle sans rien apprendre de plus. Les uns après les autres, les témoins
quittaient le bar. Il ne restait qu’un garçon.
Il s’agissait de Sullivan Rodriguez, un jeune rugbyman, professionnel
depuis peu.
-
Connaissiez-vous bien Freddy ?
-
Eh bien oui … mieux que personne je pourrais
dire.
-
Intéressant. Je vous écoute.
-
Je le connais depuis l’âge de mes deux ans,
lorsque mes parents sont partis
d’Espagne, nous avons emménagé à côté de chez eux. Nos parents se sont tout de
suite entendus et sont devenu très bons amis, on peut donc dire que j’ai grandi
avec Freddy. Nous étions très proches.
-
Qu’avez-vous d’autre à dire à propos de son
enfance ?
-
Freddy est fils unique, ses parent ont toujours
satisfait le moindre de ses besoins. D’ailleurs lorsque mon père est allé
m’inscrire dans le club de rugby, il a tout de suite voulut me rejoindre. Je ne
crois pas que le rugby l’intéressait beaucoup, pas comme moi, mais nous nous
entrainions ensemble. Il a arrêté après un match où un de nos coéquipiers a eu
le nez cassé. Freddy était horrifié. La boue, les coups de crampons, ça allait,
mais il ne voulait pas risquer sa belle gueule un dimanche sous la pluie. Il
s’est inscrit à la salle du père de Charles et il a investi dans la gonflette.
Nous trouvions tous ça un peu ridicule. Surtout Erika.
-
Erika ?
-
Erika Kovacs.
-
Sans blague. Parlez-moi d’Erika et de Freddy.
Les deux flics passèrent les deux jours suivants à étudier
les rapports : autopsie, prélèvements divers… Les techniciens de
l’identité judiciaire s’en étaient donné à cœur joie dans une boite bondée au
moment du crime. Les empreintes étaient innombrables, mais on n’y trouvait rien
d’anormal, pas même une trace de chaussure de bowling. L’arme du crime était
aussi aseptisée qu’un champ opératoire, nonobstant le sang et autres substances
provenant du crane de Freddy. Celui-ci était mort sobre, clean et sans aucun
ennui de santé présent ou à venir. Son estomac ne contenait qu’un jus de
carotte légèrement citronné, et pas une goutte d’alcool. Un jus de carotte,
dans une soirée à la mode ? Tony fronçait les sourcils, Antoine ricana.
-
Ça doit être le dernier truc tendance. On ne se
défonce plus à la vodka, mon vieux, on consomme des vitamines et des minéraux à
toute heure du jour et de la nuit. Et des fibres. Et des antioxydants.
Tony grogna.
-
On convoque la belle Erika ? Apparemment,
elle a des trucs à nous raconter.
-
Bonne idée.
La jeune femme arriva dans l’après-midi, visiblement
furieuse. Son bonjour résonna dans la pièce comme une injure. Les deux
comparses s’installèrent en face d’elle.
-
C’est un interrogatoire ?
-
Pas encore. Nous souhaitons vous poser quelques
questions, mais vous êtes libre de partir si vous ne voulez pas nous répondre.
-
C’est vrai ?
-
Tout à fait. Même si vous ne restez pas sur
cette chaise, dans ce bureau, nous allons poursuivre notre enquête. Le juge
d’instruction risque de ne pas apprécier votre manque de collaboration et de se
demander pourquoi vous refusez de nous éclairer. Et nous serons chargés de
chercher pour quelle raison. Cela signifie que nous allons éplucher tout ce que
nous pouvons trouver sur vous. Même ce qui ne nous regarde pas.
-
Vous ne l’avez pas déjà fait ?
-
Pas encore. Mais ça peut venir.
-
Je vois. Que voulez-vous savoir ?
-
Le soir du crime, vous nous avez dit que vous
connaissiez Freddy depuis peu, que vous l’aviez rencontré sur un tournage. Mais
nous savons que c’est faux, vous le connaissez depuis plus longtemps que ça.
-
C’est de l’histoire ancienne.
-
Nous vous écoutons.
-
J’étais sa petite amie. Toute sa bande de potes
me connait, j’ai été stupide de vous mentir, j’aurais dû me douter que l’un
d’entre eux vous parlerait de moi. Nous sommes restés ensemble pendant quatre
ans, mais il m’a quittée brusquement.
-
Vous ne viviez pas ensemble ?
-
Non, je vis en colocation à Paris. Freddy vivait
chez ses parents. Il ne voulait pas trop s’éloigner d’eux.
-
Pour quelle raison ?
-
Je ne sais pas, mais c’était suffisamment
important pour qu’il passe rarement la nuit dehors, enfin, quand il ne
participait pas à une de ces émissions ridicules.
-
Ça vous posait un problème, ses émissions ?
-
Quand il a commencé, notre relation s’était
distendue. Je trouve ça inepte, mais je n’ai rien dit. En fait, je crois que
c’est Freddy que je trouvais inepte. La téléréalité, ça lui allait bien
finalement.
-
Comment s’est passée votre rupture ?
-
Bien, si on peut dire. J’ai reçu un texto qui
m’annonçait que c’était fini. Mais comme je n’avais pas vu Freddy depuis quinze
jours, je n’ai pas été surprise. Plutôt soulagée. Comme ça, je n’avais pas à le
voir pour lui dire que je ne voulais plus le voir. Le genre de dernière
rencontre vraiment injuste, où on se convoque pour se dire qu’on ne veut plus
de l’autre.
-
Vous avez un petit ami ?
-
Non, j’ai des petits boulots et la danse.
-
La danse ? Vous nous aviez dit que…
-
Je prends tout ce qui vient. Un peu de caméra,
un peu d’éclairage, maquilleuse, costumière, je peux tout faire. Du moment que
je rencontre des gens qui peuvent m’aider dans ma carrière. J’étais sur le
tournage avec Freddy parce que j’essayais de rencontrer le réalisateur. Il fait
des pubs pour se nourrir, mais il fait aussi des tournages sur des spectacles.
-
Et ça a marché ?
-
Plus ou moins.
-
Vous avez revu Freddy depuis qu’il a
rompu ?
-
Même pas le soir où il a été tué. En fait, je ne
savais pas qu’il était là. Je l’ai aperçu de loin quand il était dans
l’escalier vers la mezzanine, il montait.
-
A quelle heure ?
-
Difficile à dire. Je suis arrivée vers dix
heures, j’ai un peu dansé, remballé quelques lourdauds et j’essayais
d’atteindre le bar.
-
Pour une excursion en Irlande ?
-
Non, à ce moment-là, je n’avais pas envie de
whisky. Le whisky, c’est quand j’ai appris qu’il y avait eu un meurtre et que
c’était mon ex qu’on avait assassiné. On ne sortait plus ensemble, mais ça m’a
fichu un coup.
-
Vous savez pourquoi il vous a quittée ?
-
Je vous l’ai dit, on ne se voyait déjà plus
beaucoup.
-
Vous pensez qu’il avait quelqu’un d’autre ?
-
Sûrement. Freddy n’aimait pas rester seul. C’est
sans doute ça qui l’a décidé à rompre. Il avait quelqu’un d’autre en vue.
-
Vous savez qui c’est ?
-
Non, ça ne me regardait pas.
-
Ses copains auraient pu vous le dire.
-
C’étaient les copains de Freddy, je ne les
fréquentais pas vraiment.
-
Pas la moindre idée, alors ?
-
Tout ce que je sais, c’est que ce n’était pas
quelqu’un de son quartier, je l’aurais su.
Les deux policiers remercièrent et escortèrent Erika Kovacs
à la sortie du commissariat. Un coup de téléphone aux parents de Freddy sembla
s’imposer.
Ils commencèrent par l’accident dont Yann, le frère de
Sylvain avait été victime. Fabian Bogoz rugissait tellement fort dans
l’appareil qu’Antoine l’écarta de son oreille.
-
Freddy n’a rien à voir avec tout ça ! Et il
s’en voulait à mort !
-
Comment ça ?
-
Ces jeunes… ils fêtaient un anniversaire. Ils
ont bu comme des trous. Certains ont dit, après coup, que Freddy encourageait
les autres à se saouler, mais je connais mon garçon, il n’aurait jamais fait
une chose pareille. On les a retrouvés au bord de la route, Freddy avait les
jambes coincées sous le volant, il était inconscient, mais entier. Quant à
Yann… cet imbécile ne portait pas sa ceinture. Il a été éjecté de la voiture.
Quand les pompiers sont arrivés, c’était trop tard. Les parents de Yann n’ont
rien dit, ils sont même venus voir Freddy à l’hôpital, avec Sylvain. Mais les
mauvaises langues ont fait courir toutes sortes de bruits. Les copains de mon
fils l’ont défendu, enfin, presque tous, à part Letrompé. Il porte bien son
nom, celui-là ! Freddy s’en voulait à mort, il se sentait responsable. Je
lui ai dit, moi, qu’il n’y était pour rien. C’est la malchance, tout ça. Pas de
ceinture, et saouls comme des cochons !
-
C’était Freddy qui conduisait ?
-
Oui, mais l’enquête a montré qu’ils ont percuté
un animal, un chien sans doute. On n’a pas retrouvé grand-chose. Saouls ou pas,
ils auraient eu un accident. Mon fils n’y était pour rien, et cet inconscient
de Yann…
-
Vous pensez qu’il a eu ce qu’il méritait ?
-
C’est dur de dire ça, mais dans un sens, oui.
-
Vous connaissez les autres copains de
Freddy ?
-
Sullivan est un bon garçon, nous sommes amis
avec ses parents. Kevin est gentil, trop gentil sans doute. Freddy lui a réparé
sa voiture, une fois. Il lui empruntait de temps en temps. Les Decourtenaille
sont des gens corrects. Je n’aime pas trop le genre du boxeur, Jimmy.
-
Erika Kovacs, ça vous dit quelque chose ?
-
Ses parents vivent à côté. Une gentille fille.
Je ne la connais pas vraiment.
-
Vous saviez qu’elle avait été la petite amie de
Freddy ?
-
Non, mais ça ne devait pas être bien sérieux, il
ne nous l’a jamais amenée à la maison. Je la croise quand elle vient voir sa
famille.
-
Quatre ans de relation et vous n’en avez jamais
entendu parler ?
-
Ben non, mais je vous dis que si Freddy tenait à
cette fille, il nous l’aurait présentée.
-
Et Letrompé ?
-
Il en voulait à mort à Freddy, l’année dernière.
Une histoire de vente que mon fils aurait fait capoter. Je n’ai jamais cru un
mot de son histoire. Mon fils était un garçon honnête. Je ne sais pas si on
peut en dire autant de l’autre !
-
Comment ça ?
-
Ben, un agent immobilier, pensez. Ça doit
magouiller pour s’en sortir !
-
Vous avez des précisions ?
-
Non, je ne m’intéresse pas aux ragots. On a dit
que Letrompé dissimulait certaines sommes, pour payer moins de taxes. A vrai
dire, je ne crois pas qu’il soit assez malin. Quant à cette histoire avec
Freddy, ils avaient fait la paix.
-
C’était quoi cette histoire ?
-
Freddy dépannait Letrompé pour un rendez-vous.
Il fallait juste accompagner des clients pour une deuxième visite. Ouvrir les
portes, les volets, pour que les gens se décident. Freddy a voulu faire
l’article sur cet appartement. Les clients ont accusé Letrompé de leur avoir
menti, parce que mon fils s’était gouré. Un détail au sujet de la surface du
logement. Freddy ne pouvait pas tout savoir, il n’avait même pas de fiche pour
la visite ! L’affaire de Letrompé démarrait tout juste, et ça a vite fait
le tour de la ville. Un agent immobilier pas sérieux, ça n’attire pas les
clients. Letrompé a rendu Freddy responsable du scandale. Et puis ça s’est
calmé. Freddy a offert un verre à Guillaume, un jouet pour son fils nouveau-né
et ils sont redevenus copains.
-
Et Lukas ?
-
Celui qui porte le même nom que nous ? Je
l’ai aperçu, de loin. Il n’a pas bonne réputation. En tous cas, je suis sûr que
ce n’est pas un cousin à nous. Trop mauvais genre ! On dit qu’il picole.
Les autres le défendent en expliquant qu’il a des trucs terribles à oublier.
Comme s’il était le seul ! Mais les gens bien ne noient pas leur problème
dans la bibine, ils les affrontent.
-
Comment Freddy et lui se sont-ils
rencontrés ?
-
Freddy cherchait des photos du quartier sur
internet. Il disait que la terre entière y est, alors il voulait voir à quoi ça
ressemble, ici. Comme s’il n’avait pas juste à ouvrir la porte ! Bref, il
a cherché notre adresse et on lui a indiqué d’autres Bogoz, à deux pas d’ici.
Il a décidé qu’il fallait rencontrer ces gens qui portent le même nom que nous.
Je lui ai bien expliqué que nous n’avons rien à faire avec ces étrangers, mais
il a contacté Lukas et il lui a offert un verre. En fait de verre, ils ont
failli écluser l’estaminet à eux deux ! Freddy est rentré ravi d’avoir
rencontré un Bogoz. De là, ils se sont vus régulièrement.
-
D’autres copains ?
-
Jules Argaud, un brave garçon aussi. Il est
éducateur pour des enfants qui ont des problèmes. Il ne devait pas être au bar
avec les autres, hier, il sort plus tard. Je le connais mieux, Freddy et lui
sont amis depuis l’école. Mon fils a un peu joué au foot avec lui avant de
s’inscrire au rugby avec Sullivan. Ils se voyaient moins ces derniers temps,
mais c’est un des meilleurs amis de Freddy.
En sortant du commissariat, Erika s’était engouffrée dans le
métro et avait pris la direction de chez elle. Quand elle fut sûre que personne ne la suivait, elle bifurqua vers le
bar où Freddy était mort. Elle ignora l’entrée principale _ de toute façon, à
cette heure, l’établissement était fermé _ et ouvrit une petite porte discrète
un peu plus loin. Bryan, le barman, comptait ses bouteilles.
-
Un shot pour une demoiselle en détresse, beau
gosse !
-
Ne m’appelle pas comme ça, ça me fait penser à
l’autre crevure.
-
Ce coup-ci, il est mort.
-
Ce coup-ci ?
-
Pardon, ce n’était pas drôle.
Il haussa les épaules et la servit. Elle but le verre cul
sec.
-
Les flics t’ont cuisinée ?
-
Bien sûr. Normal.
-
Et ?
-
Rien, ils n’ont rien.
-
Ton boulot ?
-
Ils n’ont rien trouvé, je te dis.
-
Je ne veux pas d’emmerdes.
-
Personne ne veut d’emmerdes, Bryan.
-
Oui, mais là…
-
Là, c’est tout près de toi, c’est ça ? On
n’y peut rien, Bryan. Freddy est mort dans la boite, ça n’était pas prévu. On
fait le gros dos et on attend que ça passe. Les flics cherchent un assassin,
pas un
-
Tais-toi !
-
T’es un mec louche, tu sais. Tu le portes sur
toi. Mais les flics n’en ont pas après toi. Tu ne joues pas au bowling,
j’imagine ?
-
N’importe quoi ! J’ai jamais touché une
quille de ma vie.
-
Au bowling, on ne s’approche pas des quilles. Si
les flics viennent te voir, tu n’as qu’à leur dire la même chose. Ils ne
s’intéresseront plus à toi après ça.
Le barman secoua la tête et retourna à ses bouteilles. Erika
soupira, repoussa son verre et quitta le bar.
Quatre ans de relation et cette tenace impression d’avoir
perdu son temps avec un type médiocre, plus développé des biscottos que du
cerveau. La téléréalité, c’est pour les beaufs, et Freddy méritait mieux que ça.
Il n’était pas aussi bête qu’on lui en donnait l’air à l’écran, mais pas très
futé non plus. Si les caméras n’avaient pas fait irruption dans la vie de
Freddy, ils seraient peut-être encore ensemble. Toute cette pression pour être
le mec parfait, ça l’avait détruit. Enfin, ses parents l’auraient sans doute
détruit, de toute façon. Ils en attendaient trop de leur fils. Il avait
tellement la trouille de leur déplaire qu’il ne leur avait jamais présenté
Erika. Il disait que son père n’aimait pas le genre de ses parents à elle. Un
beau fiasco.
Au poste, Antoine classait les dossiers de l’affaire, et
Tony était plongé dans ses notes.
-
Tu trouves quelque chose ?
-
Je cherche. On a qui ensuite ?
-
Sullivan, le sportif. Tu l’as fait venir pour
une raison particulière ?
-
Je voudrais qu’il nous parle d’Erika. Elle nous
cache bien des détails sur sa vie. Tu savais que le barman de la boite où
Freddy est mort avait été arrêté pour trafic de stupéfiants ?
-
Tiens donc. Et alors ?
-
Rien, on l’a relâché. Pas assez d’éléments. Et
il avait un bon avocat.
-
Pourtant, aux stups, ils font gaffe.
-
Oui, mais là c’était fragile.
-
Erika, elle le connait bien le barman, à ton
avis ?
-
Aucune idée.
-
Tu as trouvé comment elle paie son studio ?
-
Pas encore, mais ça va venir.
Avec un grand sourire, Antoine tapota l’épaule de son
partenaire. S’il y avait quelque chose à trouver, Tony trouverait. Sullivan
arriva.
-
Je ne connais pas beaucoup Erika mais étant le
voisin de Freddy je l’ai vue souvent aller chez lui le matin et elle repartait
tard le soir. Cela se produisait presque tous les week-ends, en l’absence des
parents.
-
Savez-vous comment ils se sont connus ?
-
Il
m’avait dit un jour qu’il avait rencontré une jolie fille blonde qui dansait
dans un bar de la ville.
-
Quelles étaient les relations entre eux ?
-
Je savais qu’ils étaient proches mais dès que
nous étions entre copains et que son prénom était prononcé, il changeait de
sujet. Je suis sûrement le seul au courant de leur relation même si j’en sais
peu. Un jour j’ai entendu une violente dispute entre Erika et Freddy.
-
Quel était le sujet de la dispute ?
-
J’ai entendu parler de trafic de stupéfiants.
Freddy n’y aurait jamais touché, j’ai entendu quelque chose, se faire repérer,
ou un truc comme ça puis ma mère m’a demandé de descendre donc je n’ai pas entendu
la suite.
-
Erika vendait de la drogue ?
-
Je n’en sais rien. Ça m’étonnerait. Enfin, je ne
sais pas, je ne la connais pas si bien que ça.
-
Vous savez comment elle paye son loyer ?
-
Elle est stripteaseuse. C’est pour ça qu’elle
danse bien. Ou c’est l’inverse, c’est parce qu’elle danse bien qu’elle a eu
cette idée. Ne le répétez pas, je suis sûr que personne n’est au courant. En
tous cas, pas les parents d’Erika. Jimmy doit le savoir.
-
Jimmy ?
-
Erika et lui sont très proches.
-
Proches comment ?
-
Ça, il vaut mieux le leur demander à eux.
-
Freddy l’a-t-il revue ?
-
Après la dispute, il a pris ses distances. Je
crois qu’il n’aimait pas les fréquentations d’Erika. Il ne s’entendait pas avec
Jimmy, et celui-ci est très protecteur avec elle.
-
Ils étaient ensemble le soir du meurtre.
-
Je ne crois pas. Freddy avait supprimé son
numéro.
-
Vous êtes sûr qu’ils parlaient de drogue ?
-
Ça ne s’invente pas. J’aimais Freddy comme un
frère, et ça m’a choqué. Ce n’était pas son genre.
-
Et le genre d’Erika ?
-
Je ne la connais pas bien, mais cette fille
attire les emmerdes, j’en suis sûr. J’étais bien content que Freddy l’ai
larguée. Vous avez d’autres questions ? Je dois rejoindre ma mère.
-
Non, c’est bon, merci.
Le jeune homme quitta la pièce d’un pas lourd, le dos voûté.
Antoine se tourna vers Tony.
-
Qu’est-ce qu’on fait ?
-
On passe voir Jules Argaud et on fait un petit
tour à Bondy. On trouvera peut-être Lukas au bar.
-
Ça marche, en route.
Jules Argaud était en train de nettoyer sa voiture, une 206
rouge aussi resplendissante que si elle sortait de l’atelier.
-
Joli travail.
-
Merci.
-
Nous pouvons vous poser quelques
questions ?
-
Je vous en prie.
-
Que pensiez-vous de la participation de Freddy à
des émissions de téléréalité ?
-
Freddy avait le physique pour passer à la télé.
-
Ces émissions ont-elles changé le comportement
de Freddy ?
-
Il était beaucoup moins avec la bande et parfois
il nous posait un lapin pour aller au tournage. Avant il était prêt à nous
aider au moindre problème mais l’argent lui a monté la tête. Il ne dépannait
plus personne, alors qu’il aurait pu.
-
Est-ce que ses parents l’incitaient à participer
aux émissions ?
-
Je ne les ai jamais entendus en parler mais je
pense que Freddy tenait vraiment à ces émissions, ses parents l’encourageaient.
Il a toujours eu ce qu’il voulait…
Au bar des amis, Guillaume Letrompé sirotait un verre. Quand
il vit les policiers, il soupira lourdement puis hocha la tête.
-
Vous avez un moment ?
-
On va dire que oui.
-
Ça a changé quoi dans la vie de Freddy, la
téléréalité ?
-
Ça lui a monté à la tête. Dans une des émissions,
les candidats se manipulaient les uns les autres. Freddy s’est montré brillant.
C’est vrai qu’il avait de bonnes dispositions pour ça.
-
Vous lui en voulez toujours ?
-
Oui, bien sûr. Ses combines devaient toujours
être payantes, il disait, mais moi j’y ai laissé pas mal de plumes.
-
Vous ne l’appréciiez pas beaucoup.
-
J’ai été trop souvent le dindon de ses farces.
Et puis sa popularité lui montait à la tête. Bon sang ! il avait juste
montré sa jolie gueule à la caméra et des millions d’imbéciles l’ont regardé
rouler d’autres gens dans la farine. Remarquez, moi, je n’ai pas eu besoin
d’allumer ma télé pour me faire avoir. J’avais l’original en direct live, ici
même, pour m’embobiner. Le pire, c’était avec son soi-disant cousin, Lukas. Je
sais qu’il n’a pas de cousin en France.
-
Ils se sont rencontrés comment ?
-
Ici.
-
Au bar ?
-
Freddy cherchait le numéro de ses parents, pour
leur téléphoner. Le gérant lui a passé un vieil annuaire et Freddy est tombé
sur d’autres Bogoz. Il s’est mis à brailler dans la bar. Lukas s’est approché
pour demander ce qu’il voulait aux Bogoz. Freddy lui est tombé dans les bras et
ils ont pris un verre pour fêter leur rencontre.
-
Freddy ne connaissait pas le numéro de ses
parents ? Je croyais qu’il habitait avec eux ?
-
C’est vrai, mais Freddy était comme ça, il
oubliait des trucs.
-
Des trucs comme son propre numéro de
téléphone ?
-
Oui.
-
Ça fait des gros trous de mémoire, ça.
Letrompé se tortillait, mal à l’aise.
-
Freddy oubliait des trucs, même des trucs
évidents. C’est pour ça que ses parents le couvaient.
-
Les autres sont au courant ?
-
Bien sûr ! Mais c’est motus et bouche
cousue. Freddy, c’était leur héros. Ils ne vont pas vous dire qu’ils le
surveillaient eux-mêmes pour éviter qu’il lui arrive des bricoles.
-
Pourquoi vous nous en parlez, vous ?
-
Parce que vous me le demandez. Et parce que ça
fait belle lurette que Freddy n’était plus mon ami.
Letrompé tressaillit. Derrière l’épaule de Tony, il venait
de voir Lukas arriver dans le bar. Celui-ci se dirigea vers le petit groupe et
salua. Guillaume marmonna quelque chose au sujet de sa femme et de son fils, et
sortit en abandonnant de la monnaie sur le comptoir. Le gérant vint ramasser
les pièces. Lukas commanda un demi et prit la place de Letrompé entre les deux
policiers.
-
C’est sympa de vous déplacer pour les
interrogatoires. Ça permet de se désaltérer en même temps. Au commissariat, je
n’aurais pas pu prendre mon verre. Vous parliez de quoi ?
-
Des émissions de Freddy.
-
Une chance pour moi !
-
Pour vous ?
-
Enfin, je veux dire, pour Freddy. J’espère.
-
Comment ça ?
-
J’espère que ce n’est pas ça qui l’a tué.
-
Non, c’est une boule de bowling qui l’a tué.
Pourquoi c’était une chance pour vous ?
-
Parce que pendant ce temps-là, je n’avais pas
Freddy sur le dos.
-
Sur le dos ?
-
Arrêtez de répéter mes derniers mots, je vais
vous expliquer. Ça n’a pas d’importance, maintenant, où il est, il ne peut plus
me faire de mal.
-
Expliquez-vous.
-
Oui, bon, Freddy m’exploitait un peu. La caisse
de Kevin, c’est pas Freddy qui l’a réparée, c’est moi. Je vous ai dit que j’ai
fait tous les boulots. J’avais bossé chez un garagiste, ce n’était pas trop
compliqué, alors je l’ai réparée, à l’œil. Freddy me faisait souvent faire des
trucs comme ça. Les autres étaient persuadés qu’il avait de l’or dans les mains, mais la plupart
du temps, il faisait appel à moi.
-
Et vous faisiez ça pour rendre service ?
-
Je n’avais pas le choix. Freddy me menaçait.
Vous avez vu sa carrure ? Et la mienne ? Il m’a cassé la figure une
fois, je suis rentré chez moi plié en deux. Après, il lui suffisait de me
promettre de recommencer, et je faisais tout ce qu’il voulait. Parfois, je lui
filais du pognon, quand il demandait. Ses émissions le tenaient éloigné de moi,
et il a gagné assez d’argent pour cesser de m’en réclamer.
-
Vous vous êtes fait exploiter longtemps ?
-
Trois ans. Quand il était en rogne, je me
cachais dans la cave, comme quand nous n’avions pas de papiers. J’attendais que
ça passe, ou que Freddy oublie pourquoi il était en rogne. Il me suffisait de
disparaitre.
-
Il oubliait souvent ?
-
Si je restais hors de vue, ça marchait. Sinon,
il me trouvait et il me menaçait à nouveau. Les chiens ne font pas des chats.
-
Que voulez-vous dire ?
-
Vous êtes flics, non ? Vous vous êtes
renseignés sur les parents de Freddy ? Sur son père ?
Le flic hocha la tête, sans rien dire. Lukas tremblait des
pieds à la tête.
-
Fabian, il était bien pire que son fils.
-
C’est pour ça que vous l’évitiez ?
-
Non, c’est parce que j’ai honte. Mon père nous a
donné le nom d’un bourreau.
Lukas vida son verre, lança de la monnaie sur le comptoir et
quitta le bar d’un pas rapide mais chancelant.
Les policiers se rendirent au
bowling, voir Decourtenaille. Charles se tenait dans un bureau vitré qui
dominait les pistes et on entendait le fracas assourdi des quilles et les
exclamations des joueurs.
-
Vous avez quelques minutes ?
-
Tant qu’on n’a pas besoin de moi en bas. Il vaut
mieux les surveiller, parfois les esprits s’échauffent vite. Et une boule de
bowling…
-
Ça peut être mortel.
-
Malheureusement, oui.
-
Freddy s’entrainait souvent chez vous ?
-
Presque tous les jours. Je lui faisais un tarif.
Avec sa popularité, il m’a fait venir du monde à la salle de sport. Il y a des
gars qui se sont inscrits ici juste pour pouvoir le croiser et en parler. Des
filles aussi, d’ailleurs. A la fin, je ne le faisais même plus payer, tant il
me ramenait de monde. J’ai cru que j’allais refuser des inscriptions.
Des
cris fusèrent d’en bas. Charles s’excusa et sortit en coup de vent. Les
policiers le virent émerger près des pistes et s’adresser à un groupe de jeunes
très excités. L’un d’eux fit un geste menaçant avec une boule de bowling à la
main. Charles fit un geste apaisant, le bras du garçon retomba. Decourtenaille
réapparut quelques minutes plus tard dans le bureau.
-
Des ennuis ?
-
Non, c’est un groupe d’habitués. Ils se
provoquent beaucoup, mais ils ne sont pas méchants. Je leur ai dit de se
calmer.
-
L’un d’eux vous a menacé ?
-
Non, c’est pour la frime. C’est terriblement
lourd, une boule de bowling. Il faut une force terrible pour la soulever, vous
savez. Quand on joue, on la guide, mais on ne la lance surtout pas. Ce garçon
sait ce qu’il fait.
-
Vous dites qu’il faut une force terrible pour la
soulever ?
-
Vous n’avez qu’à descendre pour essayer. Les
noires sont les plus lourdes.
Les flics firent en tour près des pistes, essayant plusieurs
boules. Les noires étaient en effet d’un poids si imposant que Tony, le plus
costaud des deux, peinait à faire des moulinets avec. Charles les rejoignit.
-
Je vous l’avais dit, elles sont très pesantes.
-
Qui joue avec celles-là ?
-
Les joueurs qui ont à la fois les muscles et le
contrôle nécessaire. Ce n’est pas le tout d’envoyer la boule sur la piste. Il
faut aussi la diriger. Et on fait ça avec tout le bras. Je vais vous montrer.
Charles se dirigea vers une des
pistes, qu’il déverrouilla. Les quilles alignées au bout de la piste semblaient
narguer la boule. Il balança le bras d’un geste sûr et parut poser sa boule sur
la piste, plus qu’il ne la lança. La grosse boule noire alla renverser quelques
quilles. Il salua les deux policiers pour regagner son bureau.
-
On a quelque chose sur Decourtenaille ?
-
Un parfait alibi. Il était vraiment au Bataclan
et il est vraiment sorti par les toits. On a des dizaines de dépositions
concordantes. Le soir du meurtre, il était de nouveau à Paris, au chevet d’un
de ses amis encore hospitalisé. Il a offert des chocolats à toutes les
infirmières de l’étage où séjourne son ami, elles se souviennent de lui mieux
que de leur premier petit copain. Il est resté jusqu’à la fin des visites. Même
s’il est rentré directement, il n’aurait pas pu se trouver dans la boite de
nuit à l’heure du meurtre.
-
Bon, donc ce n’est pas Decourtenaille.
-
Non, mais c’est peut-être un des autres.
-
Jimmy ?
-
Le chevalier servant d’Erika ?
-
Il est largement assez costaud pour balancer la
boule d bowling. Et il n’aimait pas trop Freddy.
-
Ça ne me parait pas suffisant pour commettre un
meurtre. Heureusement que les gens qui ne s’apprécient pas n’en viennent pas à
s’entretuer !
-
Erika aurait pu l’inciter à frapper.
-
Mais le mobile ?
-
Il doit penser la protéger.
-
De Freddy qui ne donnait plus signe de vie ?
-
Ou la venger.
-
D’une déception amoureuse ? Elle n’a pas
l’air très touchée que Freddy l’ait laissée tomber. J’ai eu l’impression que,
s’il ne l’avait pas fait, elle aurait rompu.
-
Pour protéger ses secrets.
-
Je ne sais pas à quel point elle tient à ce que
tout le monde continue d’ignorer qu’elle gagne sa vie en se foutant à poil.
-
Elle danse, essentiellement.
-
Oui, elle danse, mais elle se fout à poil aussi.
Si elle était ballerine, elle en parlerait à ses parents.
-
C’est vrai. Mais Freddy ne la faisait pas
chanter.
-
Pour le moment, on n’a rien, c’est vrai. Mais ça
ne veut pas dire qu’il n’y a rien.
-
Donc Jimmy ?
-
Au poste, et Erika aussi.
-
Et tant qu’on y est, j’écouterais bien Letrompé
et L’autre Bogoz.
-
Convoque les tous. Il faut qu’on boucle et on
pourra les confronter, s’il faut.
-
C’est parti.
Le lendemain, les amis de Freddy patientaient au
commissariat. Deux policiers en tenue amenèrent Bryan, menotté, et passèrent
sous leur nez. Ils installèrent le barman sur une chaise dans le bureau
d’Antoine et Tony et lui retirèrent les bracelets. Bryan se frotta
machinalement les poignets.
-
Ce n’est jamais bon pour les affaires, les
meurtres, n’est-ce pas, Bryan ?
-
Pour quoi vous m’avez arrêté ?
-
On ne t’a pas arrêté. Mais nos amis des Stups
ont eu la gentillesse de nous accorder un entretien avec toi. Je crois que tes
petits trafics sont terminés. Si en plus on peut te coller un homicide sur le
dos, ça te mettra hors jeu pour un bout de temps. C’est ça la collaboration
entre les services.
-
Mais je lui ai rien fait, moi, à Freddy !
-
Il était au courant pour ton business ?
-
Oui, enfin, j’en suis pas sûr, mais je pense
qu’il s’en doutait. Je suis pas un débutant, je deale pas ma came sous le nez
des clients.
-
Il ne t’en a jamais acheté ?
-
Freddy ? Un type qui boit du jus de carotte
à une soirée ? Vous rigolez ?
-
Pas vraiment. Il était au courant ou pas ?
-
Je ne pense pas.
-
Et Erika, elle aurait pu lui dire ?
-
Non, d’abord, c’est pas son genre. Et elle ne le
voyait plus.
-
Mais elle ne sortait pas non plus avec toi.
-
Avec l’espèce de gorille qu’elle traine partout,
je n’aurais pas essayé.
-
Mais tu en avais envie ?
-
De sortir avec elle ? Ben oui, vous l’avez
vue, Erika ? Elle est quand même bandante, non ?
-
Et les strip-teaseuses ne sont pas farouches.
-
Erika n’est pas comme ça.
-
Et Jimmy était gênant.
-
Plus que Freddy en tout cas. Si j’avais dégommé
un type pour approcher Erika, c’est lui que j’aurais assommé, pas Freddy.
-
On a entendu parler d’une bagarre.
-
Oui, c’est vrai, une fois, on s’est un peu
cherchés, Freddy et moi. ça n’est pas allé bien loin. Il avait l’air costaud
comme ça, mais la gonflette, ça fait des jolies formes, pas des poings.
-
Alors ?
-
Alors, j’ai pas dégommé Freddy. Je lui ai donné
une leçon, c’est tout.
-
C’est toi qui as eu le dessus ?
-
Bien sûr. Je ne prends jamais de risques. Et moi,
je sais me battre. Freddy a eu sa raclée, il m’a foutu la paix. Sérieux, si
j’avais voulu Erika, c’est Jimmy que j’aurais assommé. Freddy, il s’en foutait,
d’Erika.
-
Reste là, on va revenir.
Le deux flics allèrent chercher Erika et changèrent de
bureau. En passant, un planton leur glissa quelques mots.
-
Installez-vous, nous devons encore parler de
Freddy.
-
Ce qui m’arrangerait, c’est que vous arrêtiez le
meurtrier. Je ne l’ai pas tué, mais j’en ai marre de passer mon temps ici.
-
Dans ce cas, vous pouvez sûrement nous aider. On
va gagner du temps : vous arrêtez de nous balader en faisant la boule à
facettes, avec vos mensonges et vos demi-vérités, on a des réponses claires, et
on boucle l’affaire.
-
Je vous écoute.
-
Apparemment, vos parents et le reste de votre
entourage ignorent votre activité principale.
-
Le strip-tease ? Ce n’est pas ma principale
activité, c’est mon gagne-pain. Mes parents sont persuadés que mes petits
boulots de merde dans la pub et la réalisation me font vivre. Et moi j’aime
être indépendante. Je fais ça trois soirs par semaine et je gagne plus que
vous.
-
Mais vous n’aimeriez pas que vos parents
l’apprennent.
-
Ils s’en remettraient.
-
Freddy ne vous en a jamais parlé ?
-
Il était plutôt content, au début, de savoir que
certains types dépensaient des fortunes pour me voir me trémousser en petite
tenue. Lui, il avait tout gratuitement, ça le faisait marrer.
-
Mais ça, c’était au début.
-
Jusqu’à ce qu’il vienne me voir. Et là, il a
compris.
-
Compris quoi ?
-
Que c’est plus que ça, se déshabiller contre du fric.
Pour gagner, il faut jouer avec les spectateurs. Il est venu un soir. Et ça lui
faisait honte.
-
Honte au point de vous dénoncer ?
-
Non, ça ne lui serait jamais venu à l’esprit.
-
Erika, c’est trop tard pour parier sur la
grandeur d’âme de Freddy.
-
Il voulait que j’arrête, mais il ne me proposait
rien en échange.
-
Comme subvenir à vos besoins ?
-
Ça, moi, j’aurais jamais accepté. Freddy n’était
pas un chic type. Je ne me serais pas retrouvée dépendante de lui.
-
Alors ?
-
Alors quoi ?
-
Vous avez tenté de convaincre Freddy de la
fermer. Vous avez des arguments. Une dernière danse, rien que pour lui,
peut-être quelque chose que vous n’accordez jamais à vos clients, une fois
qu’il était excité, je ne sais pas, moi, une dernière faveur sexuelle…
-
N’importe quoi. Vous avez les dépositions des
autres, je n’ai pas approché Freddy. Et je ne me suis pas isolée avec lui pour
lui proposer une gâterie.
-
Vous vous êtes disputée avec Freddy, ça a
dégénéré et vous avez frappé. Dans le feu de l’action, on développe une force
hors du commun. Ça vous aurait permis de soulever la boule de bowling et de
l’assommer. Peut-être même avez-vous pensé lui donner une leçon, sans le tuer.
-
Jamais de la vie !
-
Ou Jimmy ? Ce type vous suit comme votre
ombre. Pour vous protéger, il a pu faire le boulot.
-
Jimmy ? C’est un gros dur, mais je ne lui
demanderais jamais ça ! Vous parlez de meurtre, là. Je ne détestais pas
Freddy.
-
Jimmy aurait pu se tromper, et croire bien faire
en éliminant Freddy ?
-
Non. Jimmy n’est pas idiot. Il m’en aurait parlé
avant. Et je vous répète que je n’avais plus de nouvelles de Freddy depuis que
nous avions rompu. Fini, terminé, plus de Freddy.
-
Jimmy joue au bowling ?
-
Oui, chez Charles.
-
Et sa boule, elle est de quelle couleur ?
-
Noire.
Erika se rembrunit et croisa les bras. De fait, Jimmy
trimballait fréquemment un sac de sport pesant. Tony hocha la tête en direction
de son partenaire et quitta la pièce. Il fit signe à Jimmy qui attendait de le
rejoindre et lui fit ouvrir son sac. Dans un étui, se trouvait une énorme boule
de bowling noire.
-
C’est la vôtre ?
-
Oui.
-
Comment vous le savez ?
-
Elle est personnalisée.
-
Comment ça ?
-
Je l’ai payée cher et pour ce prix, les
emplacements des doigts sont percés pour ma main. Je ne joue qu’avec celle-là,
je ne la prête pas et elle ne me quitte quasiment jamais.
-
Jamais ?
-
Quand je m’entraine à la salle, je la laisse à
Charles, c’est lui qui m’a aidé à la choisir. Vous pouvez lui demander.
-
Merci, vous pouvez retourner attendre.
-
Ça va être long ? Je voudrais voir Erika.
-
Soyez patient.
Les deux policiers se retrouvèrent dans le couloir.
-
On fait quoi ?
-
On confronte Jimmy et Erika. Puis on retourne
voir Bryan.
-
On n’avance pas beaucoup.
-
Si, on élimine des pistes.
La confrontation de Jimmy et Erika vira au larmoyant. La
jeune femme tomba dans les bras de son chevalier servant, qui ouvrit les bras
par réflexe et eut l’air totalement égaré de tenir ainsi contre lui la belle
éprouvée. Ensemble, ils répétèrent aux deux policiers que la présence de Freddy
était une surprise, à cette fatale soirée. Ils n’avaient rien pu préméditer.
L’improvisation restait possible, mais les mobiles paraissaient maigres.
Bryan ne leur apporta pas plus de précisions. Il était
toujours possible qu’il ait pensé protéger son business en éliminant Freddy,
mais il était aussi le premier à savoir que l’irruption des flics sur son lieu
de travail, et de trafic, lui faisait prendre des risques inconsidérés. S’il
avait tué, il aurait choisi un autre endroit. Et surtout, il se serait assuré
qu’on ne retrouve pas le corps trop vite. Il restait la possibilité qu’il ait
consommé lui-même une partie de son stock, et disjoncté sous l’effet des
stupéfiants, mais il se récriait qu’il ne touchait pas à cette merde. Il se
contentait de la vendre.
Letrompé aurait pu en vouloir à mort à Freddy. Effondré sur sa chaise, il raconta que Freddy
lui avait fait perdre beaucoup plus d’argent qu’il ne l’avait d’abord admis. Sa
femme avait repris un boulot pour assurer le quotidien, alors que son affaire à
lui périclitait. C’était dur, de se retrouver sans statut social après avoir
tant trimé. La faute à Bogoz. Et à beaucoup de malchance. Il s’en voulait de ne
pas pouvoir assurer le confort matériel de sa famille. Personne ne se serait
douté qu’il irait à une de ces soirées où on pouvait trouver Freddy. Il aurait
pu le surprendre, faisant le beau. La boule de bowling, c’était facile d’en
prendre une chez Decourtenaille et de l’utiliser pour frapper Freddy. Guillaume
aurait même pu boire pour se donner du courage. Les insinuations des policiers
firent s’écrouler Letrompé. Oui, il se sentait idiot d’avoir prêté l’oreille
aux combines de Freddy, mais pas assez pour le tuer. Les mauvaises affaires,
c’était de sa faute à lui. Il avait appris un peu d’honnêteté dans l’histoire
et avait décidé de se faire oublier un moment en bossant pour un concurrent. Le
temps de se refaire financièrement, le temps que les gens oublient. La mort de
Freddy, son mauvais génie, ferait disparaitre plus vite ses avanies, mais là,
on parlait de meurtre. Avec sa femme et son fils à la maison, il voulait être
sûr de rentrer tous les soirs. Et il ne voulait pas croupir en prison. Les
policiers le libérèrent.
-
C’est bien la première fois que j’entends
quelqu’un dire que la prison lui fait peur.
-
Tu fréquentes trop de criminels endurcis.
Celui-ci ne ferait pas de mal à une mouche.
-
Bah, il ne s’arrêterait sans doute pas s’il
écrasait un chien.
-
Mais il ne trimballerait pas une boule de
bowling pour tuer un ancien copain.
-
Trop compliqué, ce n’est pas notre client.
-
Il nous reste Lukas.
-
Allons-y pour Lukas.
Le planton qui les avait interceptés auparavant leur fit de
nouveau signe. Son « client » s’impatientait. Les deux flics, après
un bref conciliabule, l’envoyèrent demander à Lukas Bogoz de patienter encore
un peu et suivirent le planton dans un bureau. Un homme habillé d’un costume
défraichi était assis sur une chaise. Il leva la tête quand les policiers
entrèrent.
-
C’est moi qui ai tué Freddy Bogoz.
-
Racontez-nous ça.
L’homme était recroquevillé sur sa chaise. Antoine et Tony ne
disaient rien, par un accord tacite qui laisse à l’autre le temps de dérouler
sa parole. Ce n’était pas vraiment un interrogatoire, cela tenait plus de
l’atmosphère feutrée du confessionnal. Dans le couloir, les bruits ordinaires
du commissariat semblaient refluer pour donner toute sa place à l’époustouflant
récit.
Fabian, il se souvenait de ce prénom. C’était il y a
longtemps, mais il n’avait rien oublié. Un moment sombre, de terreur et de
brutalité, où surnageait le visage dur de Bogoz. Pendant la guerre, on avait déporté les Juifs
avec application, en Hongrie. Soutenus par une opinion publique largement
antisémite, le gouvernement hongrois s’était plié avec complaisance aux
demandes des Nazis. D’une voix étouffée, l’homme en gris, le regard perdu dans
les brumes du passé, fit tomber ses mots implacables.
Lors d’une rafle à Budapest, Fabian Bogoz menait avec fermeté
son contingent d’hommes, de femmes et d’enfants. L’un d’entre eux, épuisé par
les privations, tomba à terre, Fabian s’énerva et força l’homme à se lever mais
à bout de forces, celui-ci tomba une fois de plus à terre se cognant la tête
contre le trottoir. Le garde asséna un violent coup de pied à l’homme affalé
qui poussait des gémissements de douleur. La cravache se leva avec colère.
Fabian était fier de sa cravache, lui qui n’avait jamais eu les moyens de
monter à cheval, comme les officiers hautains qui suivaient la colonne de
déportés sur leurs montures. Un garçon s’interposa, suppliant qu’on épargne
l’homme à terre, peut-être son père ou son grand frère. La cravache cingla la
poitrine du garçon, qui se plia en deux. Puis elle frappa à nouveau le dos
exposé. Il poussa l’enfant violemment contre le mur d’une bâtisse et se tourna
vers l’homme à terre. Il s’acharna. Les coups rebondissaient sur le dos et
contre les reins de l’homme, arrachant les vêtements en loque, mettant à nu la
peau, devenue rouge. Puis le sang perla enfin. Il fallait frapper très fort
pour faire venir le sang avec une cravache, L’homme essayait tant bien que mal
de se protéger et releva le buste pour se lever mais Fabian Bogoz, d’un violent
coup de pied l’envoya rouler sur les pavés. La tête de l’homme frappa contre le
rebord du trottoir lui écorchant la moitié de la joue, le dos et les reins
saignaient sur plusieurs centimètres d’estafilades. Fabian attacha les mains de
l'’homme en serrant le plus fort possible et le traina sans ménagement pour
rejoindre la colonne. On le fit monter avec le reste de la rafle dans un wagon,
où une femme se jeta sur lui en pleurant. Fabian, d’un haussement d’épaule fit
monter aussi le garçon qui avait défendu son père. On ferma la porte, le wagon
démarra. Le train revenait toujours vide embarquer de nouveaux Juifs. Bogoz
salua un officier. A ce rythme, on serait bientôt débarrassé de cette vermine.
Il ne vit pas le regard brûlant de l’enfant le suivre des yeux jusqu’à ce qu’un
tournant les sépare.
Au bout de la voie ferrée, il y avait des baraquements. Quand
le train arriva, l’homme cravaché était mort.
-
Fabian Bogoz, je l’ai reconnu un jour en allant
faire des courses. Il était accompagné d’un garçon. J’ai survécu à l’enfer, au
froid et à la faim. Mon père n’a pas survécu aux coups de ce bourreau de Bogoz.
Et un matin, dans une rue moche en banlieue, il marchait, insouciant, tenant un
petit garçon à la main. Il n’y a jamais eu de réparation, après les camps. Et
quelle justice pourrait-on nous rendre ?
J’ai suivi Fabian. Je l’ai perdu de vue.
J’ai mis des années à tout connaitre de lui, de sa famille et de son fils. Je
voulais tuer Fabian, mais aucune mort, si douloureuse soit-elle, ne le ferait
assez souffrir. Freddy a grandi. Il faisait la fierté de ses parents, on se
demande bien pourquoi. J’ai cru pleurer quand je l’ai aperçu dans une de ces
émissions. Il avait l’air tellement content de lui. Je me suis dit que cela
ferait mal à son père, aussi, de perdre son fils unique, comme ça, en pleine
gloire. J’ai suivi Freddy aussi. Fabian souffrirait plus longtemps si je tuais
son fils en premier. Cela fait longtemps qu’il n’a plus la moindre affection
pour sa femme. Oui, j’y ai pensé aussi, à tuer sa femme.
Et puis un jour, l’occasion s’est
présentée. Une soirée où Freddy allait. Je n’ai eu aucun mal à entrer. J’ai
l’air honorable, vous savez. Bien sapé, le visage sérieux, les videurs m’ont
laissé passer. Freddy regardait dans le vide, depuis la mezzanine. Une fille a
failli trébucher sur un gros sac abandonné dans un coin. Je l’ai ouvert. Il y
avait une boule de bowling noire dedans. Elle était très lourde. Freddy a posé
son verre, et il s’est penché pour refaire son lacet. Le temps que les autres
détournent le regard, j’ai pris mon élan et j’ai envoyé la boule dans la tempe
de Freddy. Je me suis retourné pour le voir tomber. J’ai laissé tomber la boule
à côté de lui et je suis parti sans me presser.
J’ai quitté la boite au moment où retentissaient
les premiers cris. J’imaginais le chagrin du père. Le fils n’était rien, qu’un
moyen de partager avec Fabian un petit bout de mon enfer. C’était la première
fois que je tuais quelqu’un. Je ne sais pas si je m’en remettrai. Pourtant, des
morts, j’en ai vus plus que vous n’en verrez jamais.
Tony, le visage tendu serra doucement l’épaule de l’homme.
Puis il fit signe à son partenaire de le suivre hors de la pièce. Il indiqua
d’un geste à un planton de se poster devant la porte et entra dans un bureau
vide. Antoine avait l’air terriblement ému.
-
Une vengeance d’une génération à l’autre…
-
Une minute, Antoine. Il a quel âge,
Fabian ?
-
57 ans, je crois.
-
Donc il est né ?
-
Et bien, en 1961.
-
Ça fait jeune pour avoir mené des rafles
pendant la seconde Guerre mondiale, non ?
-
Ce type s’est trompé de Fabian ?
-
Il s’est surtout trompé de plusieurs décennies.
Il a quel âge, notre témoin ? Quarante ? Quarante-cinq à tout
casser ?
-
Ce qui fait…
-
Qu’il est né dans les années 70. Ce type nous
raconte des histoires. Des histoires qui ont à voir avec l’Histoire, mais des
histoires quand même.
-
Joli, un moment, j’y ai presque cru.
-
Mouais, sauf que ça ne tient pas. Les
protagonistes sont beaucoup trop jeunes.
-
Tu crois que c’est une fausse piste ?
-
Je suis certain que ce type s’amuse avec la
chronologie. Il n’y a quasiment plus de survivants des camps. Les plus jeunes
ont dans les quatre-vingt ans.
-
Qu’est-ce qu’on fait ?
-
On a le choix entre mettre notre ami à
l’imagination si fertile dans les mains d’un psychiatre et le cuisiner un peu.
-
Je préfère qu’on lui pose quelques questions.
On pourra toujours le faire expertiser ensuite, si ça ne donne rien.
-
Ou on le laisse mijoter un peu. Il ne va pas
s’enfuir après une si belle histoire. On lui fait signer ses aveux, histoire
d’être couverts pour une garde à vue, et on se le garde au frais. On en a un autre
à interroger.
Antoine soupira et hocha la tête. C’était le tour de Lukas.
-
Vous faites un suspect idéal, Lukas.
-
Si vous le dites.
-
Freddy vous utilisait.
-
J’étais son esclave.
-
Justement, vous avez sans doute rêvé de lui
échapper.
-
Souvent. Mais pas au point de le tuer.
-
Ça, ça reste à prouver.
-
Non, c’est votre boulot, de prouver que j’ai tué
Freddy.
-
Exact.
-
Mais je n’étais pas dans cette boite de nuit.
-
Et si vous y étiez allé ? Vous avez vu Freddy,
vous l’avez vu s’amuser avec ses amis, et vous avez été saisi de rage. Vous
avez trouvé la boule de bowling, vous avez attendu que Freddy se penche et vous
l’avez frappé.
-
Je n’étais pas dans cette boite. J’étais en
train de remplir une des nombreuses missions que Freddy me confiait. J’étais à
Bondy, avec Sullivan. Vous n’avez qu’à le lui demander. Et je ne détestais pas
Freddy. Pas tant que ça, en tout cas. C’était un gars bien, à sa manière. Il
m’a aidé. Pas comme son père.
-
Vous avez déjà fait allusion à son père.
Parlez-nous de Fabian.
-
Fabian est arrivé en France dans les années
quatre-vingt-dix, quand on a pu quitter la Hongrie. Il voulait vivre assez loin
de chez lui. Se faire oublier. Il a changé de nom.
-
Pourquoi ?
-
Fabian a fait des choses…
-
Des choses ?
-
Pas toujours en Hongrie, le régime n’était pas
aussi autoritaire que dans les autres pays. Il offrait ses services à d’autres.
-
Quels services ?
-
Fabian a toujours travaillé pour la police
politique. C’est une tradition familiale. Si vous cherchez bien, vous verrez
que, de père en fils, ces gens-là ont toujours su se trouver du bon côté de la
matraque. Pourtant, avec l’histoire de la Hongrie, ce n’était pas gagné. Ils ont collaboré avec les Autrichiens, avec
le régent Horthy, avec les communistes… Fabian était spécialisé dans les
interrogatoires musclés, comme son père avant lui. Mais il est né trop tard
dans un monde qui ne voulait plus de gens comme lui. Vous savez que Freddy
jouait mal au bowling ?
-
On nous a dit ça.
-
Fabian se servait de boule de bowling pour
écraser les pieds ou les mains de ses victimes.
-
Et il est venu en France.
-
Comme d’autres Hongrois ont tenté leur chance
dans d’autres pays. Mais lui est allé vivre plus loin pour échapper à son
passé. Je n’en voulais pas à Freddy.
-
Vous avez eu affaire à lui ?
-
Je suis trop jeune. Et si vous voulez savoir,
aucun membre de ma famille n’a croisé Fabian.
-
Donc vous n’aviez aucune raison de tuer Freddy.
-
Non. Ni Fabian.
Les deux policiers retournèrent voir l’homme en gris qui se plongeait si
facilement dans des histoires d’un temps trop lointain pour le concerner.
-
Vous n’avez pas croisé Fabian dans une rafle,
n’est-ce pas ?
-
Non, en effet. Mais une partie de ma famille a
croisé son grand-père.
-
Les dates ne concordaient pas.
-
En effet. J’aime bien cette histoire.
-
Vous l’avez inventée ?
-
Pas tout à fait. Tout est vrai, même s’il ne
s’agissait pas de Fabian.
-
Alors Fabian, vous, Freddy ?
-
Je voulais faire souffrir Fabian. Lui prendre ce
qu’il avait de plus précieux, et c’était son fils. J’ai mis des années à
retrouver sa trace.
-
Si longtemps après ?
-
Oui.
-
Pourquoi ?
-
En mémoire des pieds et des mains brisés de mon
père. Il n’avait rien fait d’autre que d’écrire quelques articles très
critiques à l’égard du régime. Il est tombé sur Fabian, qui commençait tout juste
sa carrière. En sortant de prison, mon père s’est pendu quand il a compris
qu’il ne pourrait plus jamais écrire lui-même une phrase. J’ai voulu laisser un
souvenir à mon tour à ce salaud de Fabian. Avec une boule de bowling. Je suis
sûr qu’il a compris.
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